Attentat contre Charlie Hebdo
Pourquoi ces attentats terroristes ont-ils un si fort impact émotionnel sur l’opinion publique ? D’abord, ils renforcent les sentiments de peur et d’insécurité ; et les remèdes appliqués par le gouvernement – renforcer la présence policière dans les rues et les lieux publics – les augmentent encore plus.
Ce sont d’ailleurs de bons moments pour le gouvernement, car il peut renforcer les mesures de contrôle et de manipulation de la population, et établir de nouvelles lois qui passeront inaperçues.
Pourquoi la mort de 12 personnes affecte-t-elle plus les gens que celle des centaines de milliers d’autres personnes qui meurent chaque jour ? Parce que les gens s’identifient au symbole que ces quelques personnes représentent. C’est en même temps une identification nationaliste et une identification occidentale et chrétienne, et aussi une identification atavique, consciente ou inconsciente, à des sentiments anti-arabes souvent refoulés, parce qu’il n’est pas correct de les exprimer. Le journal Charlie Hebdo, justement, se permet de les exprimer, sous une forme humoristique (pas toujours d’un très bon goût), qui permet aux gens de justifier leurs sentiments racistes profonds et cachés.
Ces attentats sont aussi une illustration claire de la loi du karma, puisque la France soutient les Américains dans ses guerres au Moyen Orient, où des milliers de civils (plus innocents que les employés de Charlie Hebdo) sont tués depuis des décennies sans que cela n’affecte beaucoup l’opinion publique française. Pour ne parler que d’événements récents, sans remonter au colonialisme et aux Croisades.
Bien sûr, peu de gens vont essayer de comprendre les causes profondes de leurs fortes réactions à ces événements. Tant qu’on n’arrive pas à voir sa part de responsabilité personnelle dans ces attentats, mais qu’on projette la faute sur les autres et sur l’extérieur, il ne faut pas attendre des changements importants ni des améliorations dans les turpitudes du monde. À l’intérieur, on renforce ses émotions négatives sans développer sa sagesse ; à l’extérieur, on soutient les rivalités et l’escalade de la violence.
Le point n’est pas de justifier ou d’excuser ces événements, ni même de les accepter, mais de les comprendre et d’en tirer les leçons qu’ils recèlent. Voir le positif dans le négatif et le négatif dans le positif. C’est-à-dire voir les choses telles qu’elles sont, sans jugement mais avec équanimité ; voir que les événements sont neutres, ce sont les réactions à ces événements qui ne le sont pas, car elles reflètent des sentiments profonds. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas agir de manière fonctionnelle, selon ses compétences, mais il ne faut pas agir de façon psychologique pour défendre une idéologie.
Attentats et maladies de la société
Les attentats et autres événements hautement médiatiques qui ont un effet émotionnel sur la population sont des actes symboliques qui reflètent les maladies de la société, et dont on peut décoder les causes comme on décode celles des maladies humaines individuelles.
Il ne faut donc pas prendre les symptômes qui se manifestent dans le monde physique au premier degré. Pourquoi est-on si facilement ému par la mort d’une douzaine de personnes, alors qu’on reste insensible à celle des milliers d’autres êtres humains qui meurent chaque jour (sans parler de celle de millions d’animaux qui sont massacrés pour nous nourrir) ?
De même que la médecine allopathique soigne les symptômes sans vouloir voir les causes profondes des maladies, la politique se focalise sur les symptômes sans vouloir regarder les causes profondes. Il est plus facile de trouver un bouc émissaire, quelques terroristes, qui, sans même s’en rendre compte, sont les instruments de notre karma collectif plus que ceux de puissances étrangères. La mentalité de victime qui prévaut dans le bas niveau de conscience de la société est très contente de pouvoir mettre la faute sur une cause extérieure au lieu de regarder ses tendances profondes et sa propre responsabilité.
Cet acte terroriste (comme celui du 11 septembre 2001 aux États-Unis) frappe des identités profondes, des sentiments non exprimés (parce que politiquement incorrects dans notre société hypocritement bien pensante), mais exprimées par des journaux « bêtes et méchants » comme Charlie Hebdo.
Pourquoi ce genre de journal existe-t-il en France, et a-t-il un certain succès ? Parce qu’il se permet d’exprimer tout haut des sentiments humains profonds que les gens n’osent pas exprimer : haine, peur, colère, violence, racisme, xénophobie. Des sentiments qui se cachent derrière des expressions généralement admises : le râleur, le mécontent, l’insatisfait, le rouspéteur, le critique, le manifestant, le rebelle, le révolutionnaire, le blasphémateur, l’anticlérical, etc. Celles qui constituent la liberté d’expression qu’on est si fier de défendre,
Les blagues méchantes de Charlie flattent agréablement l’identité à ces sentiments profonds et justifie ses expressions variées qui sont des traits peu sympathiques de nombreux Français.
Parfois, l’énergie négative des tendances de l’ego collectif se manifeste par un acte violent, qui est comme une sorte d’abcès. Tant qu’on le perçoit au premier degré, et qu’on n’en perçoit pas le sens symbolique, la guérison des causes profondes peut-elle commencer ? Peut-être, si une autre lecture de l’événement peut commencer à s’infiltrer dans la conscience collective, si on commence à percevoir que les véritables terroristes ne sont pas quelques fanatiques musulmans, mais nos dirigeants, et les puissances économiques dont ils lèchent les bottes : ce sont les vrais responsables des maladies de la société et des turpitudes du monde.
Mais chacun de nous doit aussi se rendre compte que les attentats, autant que les crises de la société, sont une expression collective de nos sentiments profonds de haine et d’avidité. Et ce sont eux qu’il faut adresser au niveau individuel avant de nous offusquer et de juger comme inacceptables les symptômes violents qui se manifestent dans le monde. Tout changement commence par soi-même.
On soigne les abcès avec des antibiotiques et les attentas en renforçant les forces de police. Dans les deux cas, on adresse les symptômes et non les causes.
9 et 11 janvier 2015, Chiang Mai