La victime
La victime s’imagine être la proie de forces extérieures malveillantes. Elle perçoit ces forces sous des formes diverses qui reflètent la richesse de l’imagination humaine. Un dieu qui juge et punit. Des ennemis humains et des personnes mal intentionnées. Des animaux féroces et des plantes vénéneuses. Les forces et les cataclysmes de la nature. Des institutions dominatrices : gouvernements, partis politiques, administrations, police, multinationales, banques. Des groupements humains suspects : pays étrangers, catégories sociales, culturelles, raciales ou religieuses. Des entités mystérieuses : sectes, sociétés secrètes, extraterrestres, diables, démons. Les maladies physiques et mentales, les accidents, les agressions, les situations abusives ou conflictuelles. Les nuisances et les dangers produits par la technologie et les activités humaines.
Toutes ces forces hantent le monde extérieur et sont des menaces constantes sur lesquelles l’individu semble n’avoir aucune juridiction. Pourtant, ce monde extérieur n’est qu’une construction illusoire de son mental qui repose sur des croyances et des conditionnements. Il n’est la victime que de son imaginaire et de ses propres fantasmes. Il est son propre bourreau.
La mentalité de victime est, avec l’égoïsme, la principale caractéristique des bas niveaux de conscience. La victime est une très forte identité, justifiée et renforcée par une prédilection malsaine pour les malheurs des autres, les récits tragiques des films et des romans, les drames des nouvelles télévisées ; et une fascination pour les dualités réussite/échec, gagnant/perdant, dominant/dominé, riche/pauvre, etc., qui sont toutes perçues comme des expressions de la dualité bourreau/victime.
Cesser d’être une victime ne veut pas dire devenir un bourreau. Car le bourreau est la première victime de ce jeu illusoire. Il est la victime de la haine de sa victime, et de celle de l’opinion publique qui s’identifie à un rôle collectif de victime. En réalité, il n’y a pas de bourreaux, mais seulement des hyper-victimes, qui se considèrent pleinement justifiées de faire subir aux autres ce qu’elles subissent ou ont subi elles-mêmes, ou, ce qui est pire, ce qu’ont subi leurs ancêtres.
La plainte, la récrimination, l’indignation, la vengeance, la colère, la haine sont toutes des attitudes de victimes, qui régénèrent et perpétuent le douloureux destin de ceux qui se prennent pour des opprimés.
Pour cesser d’être une victime, il faut d’abord accepter son sort, en prendre l’entière responsabilité, pardonner à ceux qu’on a eu la fantaisie de prendre pour la cause de ses malheurs et se pardonner à soi-même pour cette fâcheuse méprise. Et surtout, cesser de se prendre pour une personne séparée, jetée contre son gré dans un monde hostile.
17 octobre 2013, Chiang Mai